dimanche 4 octobre 2015

Le rapport ambigu de la génération Y au numérique

Ingrid Nappi-Choulet Headshot


Sources ici
Professeur-chercheur à l'ESSEC, titulaire de la Chaire Immobilier et Développement Durable
TECHNO - Le digital a désormais envahi nos vies. Nous utilisons nos outils numériques non seulement pour communiquer, mais aussi pour travailler, consommer, nous déplacer, nous divertir etc. Qui peut désormais se passer de son smartphone, connecté aux réseaux sociaux les plus variés? Diverses études affirment que leurs propriétaires les consulteraient entre 150 et 220 fois par jour! Naturellement, la génération Y serait la première concernée par cette addiction croissante, de surcroit les étudiants qui sont amené à travailler en groupe et en réseaux.
Nous avons voulu analyser comment la génération "Petite Poucette" chère à Michel Serres, tout particulièrement les étudiants, imaginent en conséquence leur vie dans la ville de demain. La nouvelle étude de la Chaire Immobilier et Développement Durable de l'ESSECVille & Numérique, comment les étudiants français voient leur vie dans la ville de demain, amène justement à relativiser ces idées couramment admises. Et la réserve dont font état les étudiants vis-à-vis du numérique n'est pas le moindre de ces paradoxes. Inattendue de la part d'une génération volontiers décrite comme hyperconnectée, cette réserve est à même d'interpeler aussi bien les grands opérateurs de télécommunication que les adeptes de la smart city, pour lesquels la ville de demain ne saurait être que celle du quotidien à distance et de la fameuse big data.
Certes, les étudiants sont bien obligés d'admettre l'omniprésence du numérique: ils sont 61% à penser que, demain, ce dernier impactera fortement le travail, 50% les façons de se déplacer et 48% les modes de consommation. Toutefois, leur réserve est manifeste à plus d'un titre. D'abord, 58% d'entre eux sont opposés à l'usage de la géolocalisation pour se voir proposer des offres commerciales. Ce chiffre grimpe à 78% s'agissant d'utiliser le contenu des conversations mails pour se voir proposer des offres en rapport avec leurs centres d'intérêts.
Autre exemple : alors que l'on estime généralement que l'un et l'autre vont exploser dans les années à venir, ni le télétravail ni l'e-consommation ne remportent leurs suffrages: seuls 11% estiment qu'ils travailleront principalement à distance, et seuls 22% souhaitent faire leurs achats par Internet dans un avenir proche. Enfin, une écrasante majorité (77%) d'entre eux considère que le numérique est trop présent dans le quotidien des personnes de leur génération. Ils sont en revanche minoritaires (47%) à estimer qu'il est trop présent dans leur propre vie etc. Les étudiants se révèlent ainsi convaincus que le numérique a envahi la vie des jeunes Français, mais qu'eux-mêmes sont parvenus à en faire un usage raisonné et à maintenir une distance salutaire avec cet avatar équivoque de la modernité.
Deuxième enseignement majeur de notre étude: l'attrait qu'exerceraient les grandes villes sur une large majorité de la jeune génération, du fait de son dynamisme, de la diversité de leurs aménités et de l'étendue de leurs marchés de l'emploi. Or, l'étude de la Chaire invite à nuancer fortement cette idée : la grande ville a certes la préférence de 39% des étudiants comme lieu de vie futur, mais elle est talonnée par les villes moyennes et petites qui sont privilégiées par 36% d'entre eux.
Ce retour en grâce de la ville moyenne voire petite ne va pas sans poser des questions en termes numériques: quelle connectivité de ces espaces urbains intermédiaires? L'éloignement des grands bassins d'emplois implique-t-il une croissance massive du télétravail? Autant de conditions, semble-t-il, pour que ces espaces urbains intermédiaires offrent la qualité de vie qu'on leur prête. Ce résultat soulève de réelles interrogations en termes d'aménagement du territoire.
Cette attractivité des villes de taille moyenne va de pair avec un attrait massif pour les centres-villes, que ce soit comme lieu de travail (47% souhaitent y travailler) ou comme lieu de consommation (53% souhaitent y faire leurs achats). Bien loin d'un certain mode de vie dont le couple pavillon-centre commercial serait un symbole bien ancré, la vie idéale des étudiants consisterait ainsi à bénéficier des aménités d'un centre-ville, sans que cette ville soit nécessairement de très grande taille, les maux associés aux métropoles étant bien connus: cherté de la vie, manque d'espace et de nature, pollution, congestion, stress etc. Il n'y a donc pas nécessairement de contradiction entre leur attirance pour les villes moyennes et celle qu'ils manifestent envers les centres-villes.
Reste une troisième idée préconçue dont l'étude révèle les limites: alors que le débat public fait régulièrement état d'une "fuite des cerveaux", c'est-à-dire d'un phénomène de départ des jeunes diplômés à l'étranger, près de sept étudiants français sur dix (69%) affirment qu'ils préfèreraient vivre en France qu'à l'étranger.
Des étudiants majoritaires à préférer la France, beaucoup moins accros au numérique qu'on le dit souvent et de plus en plus nombreux à être attirés par les villes moyennes... Conservatrice, la génération Y? Leur mode de vie idéal, en tout cas, diffère largement de celui que les media leur accolent volontiers. Ni les métropoles ni le quotidien à distance n'ont vraiment leurs faveurs, tandis que l'invasion numérique les interpelle voire les effraie. Autant de conclusions détonantes qui invitent à reconsidérer la légitimité du tout-numérique dans la vie et la ville de demain.
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Ce billet est également publié sur le portail en ligne de l'ESSEC.

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