Acheter des vêtements de marque, hors de prix, à des ados qui, par définition, sont en pleine croissance, est-ce bien raisonnable? Certainement plus qu'il n'y paraît, nous disent les experts que nous avons interviewés.
Faut-il céder à la tyrannie des marques chez les ados?
Courtesy of Adidas
La marque comme un totem. C'est ainsi que Joël Bree, professeur à l'IAE de Caen et à l'école de management de Normandie, coordinateur de l'ouvrage Kids Marketing paru aux éditions EMS, analyse le goût des adolescents pour les marques. Selon lui, "vers 11-12 ans, intégrer une tribu permet de passer cette période déstabilisante où l'on perd ses repères d'enfant.
En portant l'emblème du clan, on le rejoint de facto." La marque apparaît alors comme une seconde peau permettant de faire émerger l'adulte en mutation. L'adolescent y puiserait la confiance en soi qui lui fait tant défaut et une certaine valorisation auprès de ses pairs.
Un passeport social
Charles Brumauld, auteur de Les ados et les marques: s'intégrer et se (dé)marquer (éditions Jouvence), perçoit la marque comme "un passeport social pour les adolescents, un véritable gage d'intégration". Difficile alors de se démarquer de ses camarades sans se voir rejeté du groupe. "Au collège de ma fille, la pression des marques est telle que j'en arrive à militer pour le retour à l'uniforme", témoigne Anne qui a fini, dans la mesure de ses moyens, par ajouter quelques pièces de marques à la garde-robe de sa fille.
Doit-on
pour autant se dresser contre cette tyrannie des marques? Pas
nécessairement répond Charles Brumauld. "Aujourd'hui, on ne prend pas le
temps de dire qui on est. En choisissant d'adopter telle ou telle
marque, l'adolescent cherche à questionner son identité." Selon lui, il y a "quelque chose de rassurant dans le questionnement de soi-même, un narcissisme constructif".
Un rôle dans la construction identitaire
Pour le psychiatre Xavier Pommereau, auteur du livre Nosados.com en images (éditions Odile Jacob), la marque joue un rôle important dans la construction de l'identité des jeunes. "Nous vivons dans une société de l'image,
où tout le monde se définit à travers ce qu'il montre de lui-même",
explique le psychiatre. "Dans ce contexte, la marque donne un code qui
permet d'identifier notre appartenance et qui traduit des crispations
identitaires plus importantes qu'auparavant, lorsque l'appartenance au
groupe social prédominait.
On pourrait remarquer que les individus les
plus en crise identitaire sont également les plus attentifs aux marques.
Lacoste,
cette marque de luxe récupérée par les banlieues, est l'exemple
parfait. Moins on se sent reconnu, plus on a besoin d'avoir des marques
qui disent le contraire."
A ce titre, les parents feraient fausse
route en ne voyant dans les marques qu'un moyen de "se la jouer", comme
disent les adolescents. "Les ados sont réellement prisonniers de leur apparence. D'autant plus avec les réseaux sociaux sur lesquels une photo circule très vite et où le harcèlement n'est jamais loin", prévient le psychiatre Xavier Pommereau.
Donner à son enfant les moyens d'affirmer son estime de soi
Un peu amère, Adèle, 28 ans aujourd'hui, se souvient de ses années
collège où elle était devenu le bouc émissaire d'une bande de filles
dans le vent: "J'ai tellement souffert d'être mise à l'écart
parce que je ne portais pas de marques. Je n'en veux pas à mes parents.
Ils n'ont simplement jamais compris pourquoi je voulais de la marque.
Eux préféraient la qualité.
Ils m'achetaient des vêtements parfois plus
chers que les marques, mais cela ne suffisait pas."
Quelle attitude adopter alors, pour accompagner son enfant dans cette quête d'identité, sans l'encourager dans les excès de la société de consommation?
"Il ne faut surtout pas traiter cela par le mépris", répond Xavier
Pommereau. "Il serait dangereux de refuser les marques en bloc et
dérisoire d'essayer de se battre avec des arguments à côté de la plaque
de type 'Ce jean beaucoup moins cher te va tout aussi bien'."
"Il ne faudrait pas couper le dialogue avec son adolescent et générer des fantasmes
en interdisant les marques sans autres explications", prévient quant à
lui Charles Brumauld. "A l'inverse, il faut éviter de basculer dans un
schéma où le 'ce que je mets' deviendrait la référence. Il me semble
nécessaire de donner en amont à son enfant les moyens d'affirmer son
estime de soi. En prenant confiance en ses talents, ses forces, il
pourra s'affirmer et se décoller du moule", poursuit-il.
Sans
oublier le point qui coince, celui du coût des vêtements de marques.
"S'ils veulent des vêtements chers, les adolescents doivent y contribuer
raisonnablement, en lavant la voiture, les vitres, en passant la
tondeuse. Des menus travaux structurant qui les aideront à grandir",
recommande le docteur Xavier Pommereau.
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